Nous sommes quelques éleveurs à être invités à une soirée débat autour du thème « quelle place pour les animaux d’élevage » au cinéma Utopia à Bordeaux à la suite de la projection du film « cousin comme cochon ».
J’appréhendes à me faire jeter en pâture aux végans, anti-spécies et autres membres de l’association L214, d’un autre côté on m’a récemment dit que j’étais une guerrière des temps modernes, et même si je sais que c’était pour me flatter, je crois que c’est un peu vrai.
Je voulais m’approcher de près de ce mouvement citadin, savoir qui sont ces gens, qui arrivent à dégouter de manger de la viande, ce qui, dit en passant, est mon gagne-pain. Je veux défendre mon mode d’élevage, qui est mon mode de vie.
Un ami tondeur a écrit un article dans notre bulletin national des tondeurs, « végans, une espèce en voie de malnutrition » et il m’a recommandé de les approcher avec bienveillance, car « ils sont souvent facilement irritables à cause de leur carence chronique en sérotonine ».
Après le film « cousin comme cochon », qui traitait de l’élevage en bretagne, le débat commence. Thomas, mon pote tondeur a raison, les végans, on les reconnaît facilement à leur teint blême et leur expression crispé. D’entrée de jeu ils critiquent le fait qu’il n’y a pas d’éleveur industriel parmi nous, ce que je trouve bien cruel venant de gens qui s’insurgent contre la cruauté envers les animaux. Il aurait été mis en pièces. Je leur fais remarquer.
On peut laisser aux membres de l’association L214 le mérite d’être des lanceurs d’alerte, mais je reste pantois devant ces jeunes urbains, bien installés dans leur confort, qui s’approprient un combat, en l’occurrence le bien-être animal, sans connaître les réalités d’un éleveur.
Mes brebis, sont-elles heureuses ? Elles ne me l’ont pas dit. Il est vrai, que je choisis leur mode de vie, qui devient par la même occasion mon mode de vie. On a vite fait de confondre notre sensibilité et la sensibilité des animaux. Pour sûr, ils sont à leur place. Dans la nature, à manger de l’herbe. Evidemment qu’un animal est sensible, mais une plante aussi, on a qu’à regarder le film « l’intelligence des arbres ». Je trouverais dommage de perdre le lien avec le règne animal, avec la nature. Et les animaux domestiques ou d’élevage le font, ce lien. Il ne faut pas avoir peur du vivant sous prétexte qu’un animal qui meurt ne l’a pas voulu. La salade non plus, et puis les animaux ne veulent pas. Ils attendent voir. On meurt tous à un moment ou à un autre, et personnellement je veux bien mourir quand mon heure sera venue comme mes agneaux, pour une cause, et pour fermer un cycle.
Si j’étais citadine, je mènerais sans doute des combats de ville, le bien-être des gens, enfin ce qui m’entourerait, comme je le fais dans ma vie de rurale. Il m’est pénible de discuter avec des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent, qui ont trouvé leur argumentaire sur Facebook. Et quand Éric, mon ami et collègue éleveur les invite à cultiver, pour expérimenter leurs convictions, il n’y a pas de résonance.
J’ai eu pitié d’eux, pâles, tristes et agressifs comme ils étaient, je leur ai dit de venir avec moi passer ne se reste qu’une journée avec les brebis pour voir par eux-mêmes de quoi ils parlent. Personne n’a sauté sur l’occasion. Aiment-ils vraiment les animaux, ou plutôt un concept ? mystère. J’aimerais les emmener avec moi, puis ensuite découvrir leur univers. Heureusement qu’ils étaient à cette soirée, sinon on aurait encore une fois prêché en terrain conquis. C’est passionnant de rencontrer ce qu’on ne connaît pas, qu’on ne comprend pas. J’ai eu des échanges intéressants après le débat, mais ensuite chacun rentre chez lui sans que quelque chose aurait notablement bougé.
Certains de mes clients m’ont demandé si j’étais allée contrôler dans quels conditions mes animaux se font abattre, et ils m’ont mis mal à l’aise. Je vais depuis toujours à l’abattoir de Ribérac, une petite structure. Je suis très reconnaissante avec les employés qui y travaillent, de prendre mes animaux en charge. Comme l’a mis en évidence L214 c’est dur le travail qu’ils font. J’ai néanmoins confiance en leur professionnalisme, et je suis persuadée qu’ils font de leur mieux, comme presque tout le monde. Il m’est totalement impossible d’aller les fliquer. C’est pour l’abattage à la ferme qu’il faut militer.
Je ne suis pas capable d’adopter un discours adapté aux citadins, genre, « ça me fait mal au cœur de voir mes animaux partir, mais que voulez-vous ? c’est comme ça ! » J’ai un mode de vie, je garde mes brebis dans des espaces délaissés. Accessoirement je gagne ma vie, et c’est à ça que sert ma production d’agneaux. Ce sont eux qui me permettent de mener la vie que je mène et je les remercie. C’est avec plaisir que je les mange, que je vous les vends. Parce que là, il y a du sens.
Tout de même, les ventes de caissettes d’agneaux sur Bordeaux sont en baisse. Quelque part je subis les dommages collatéraux du bien-être animal. Ça me met un peu en rogne, parce que je crois on se trompe de combat. Il faut manger moins de viande, certes, mais il faut manger de la bonne viande. Nos campagnes ont besoin de troupeaux de bêtes. Pour entretenir l’espace, mais surtout pour qu’il y ait de la vie! 80% de la population habite en ville. Déconnecté de la vie et de la mort. Nous aimons la salade, les limaces aussi. Quelqu’un doit mourir. Pour encore citer Thomas « Le bosquet que l’on rase pour installer une plantation de blé est un garde-manger généreux pour une grande diversité d’oiseaux, d’herbivores, d’insectes et de rongeurs. En supprimant ce bosquet, on confisque une aire de nourrissage pour ces animaux. Bien sûr, ils pourront aller ailleurs, mais ailleurs la niche alimentaire est déjà occupée par d’autres animaux qui pourront à leur tour partir ailleurs, mais à un moment donné quelqu’un doit mourir. »
Je suis installée sur une terre pauvre. Il y a bien quelques maraîchers, et ils ont du mérite, mais ici, c’est clairement un pays d’élevage. Alors ? troupeaux ou ronces ? je ne crois pas devoir donner une réponse, mon point de vue est clair. Mais pour vivre et faire ce que je fais, soutenu par beaucoup de gens, et aussi des végétariens, je dois vendre ma production. C’est le seul moyen de rester cohérente. Alors, révisez vos convictions !!